Avant-propos
Notre pays, la Guinée est restée trop longtemps marqué par des séries de crises politiques et sociales récurrentes. Cela a handicapé notre évolution économique qui, malgré nos multiples ressources nous place parmi les pays les plus pauvres du monde. L’environnement extérieur notamment au Sahel où persiste des guerres asymétriques a peu ou prou une forte influence sur notre pays. La Fondation For Peace qui publie chaque année l’index des pays fragiles place la Guinée au 15éme rang. Cet alarmant rang est une indication qui devrait amener tous les acteurs politiques et sociaux à prendre conscience des menaces qui nous guettent. La déstabilisation rampante des Etats ouest-africains du Sahel n’est pas une construction abstraite mais c’est la réalité qui plonge plusieurs pays voisins et frères dans la spirale de violences meurtrières. Dans les années 90 la sous-région était aussi en proie à des carnages, notre pays en était sérieusement affecté. Aujourd’hui et demain aurons-nous les mêmes chances pour préserver la paix dans notre pays. Les propositions qui suivent sont des pistes susceptibles d’engranger un climat d’apaisement pour restaurer la confiance mutuelle et consolider par conséquent le vivre-ensemble qui est fortement malmené.
Les actions politiques en faveur de la décrispation
- La mise en place du cadre permanent du dialogue politique et social : L’initiative de l’institutionnalisation de la concertation est une heureuse nouvelle. Toutefois il faut faire en sorte que le secrétariat exécutif soit en qualité, en représentativité et en efficacité exemplaire. L’opérationnalisation de cette nouvelle structure de concertation devra être urgente pour relever les défis actuels.
- La question des détenus liés aux soubresauts politiques : C’est un aspect essentiel dans la phase actuelle pour restaurer un climat de sérénité dans le pays. Il s’avère nécessaire d’envisager cette question sur plusieurs angles : l’humain, l’image de la Guinée dans le monde et l’effet salvateur que la relaxe des prévenus pourra augurer. En effet agir avec tact en procédant à la libération des détenus pour la plupart d’entre eux ou accorder la liberté provisoire ou le contrôle judiciaire pour les autres seront bénéfiques pour tous et particulièrement au Chef de l’Exécutif guinéen.
- La réouverture des frontières terrestres avec l’ensemble des pays limitrophes est une urgence pour la relance des activités économiques à l’intérieur du pays. Le taux de pauvreté frôle les 70% pour l’hinterland guinéen. Les activités agricoles ont été pénalisées par le COVID19 et l’instabilité politique générée par les élections présidentielles. Des pans entiers du tissu économique sont sinistrés. Les transporteurs, les paysans, les commerçants et les éleveurs se retrouvent littéralement anéantis par la longue période de fermeture des frontières. A moyen terme les capacités productives de la Guinée seront réduites et les parts de marché extérieurs seront perdus. La balance des transactions courantes de la Guinée sera davantage déséquilibrée et la perte de valeur de la monnaie nationale ira en crescendo. En conséquence l’inflation sera galopante et la crise sociale s’accentuera. Il serait sage et conforme à l’intérêt national de reconsidérer la position des autorités guinéennes sur la question de la fermeture des frontières nationales.
- La réaffirmation de l’indispensable nécessité de conforter le vivre ensemble collectif. Les traces des violences durant les périodes électorales sont loin d’être cicatrisées. La frustration née des effets néfastes des violences a sérieusement nui au vivre ensemble dans notre pays. Le Président de la République garant de la cohésion nationale devra veiller à ressouder le tissu national qui s’est profondément effrité. Un discours solennel de sa part à l’attention du peuple guinéen réaffirmant les fondamentaux de la citoyenneté est une nécessité. En effet il est indispensable de rassurer toutes les composantes de la nation guinéenne. Dans un environnement délétère, la désunion nationale est le terreau par excellence où des forces asymétriques hostiles pourraient prospérer comme ce fut le cas au Mali ou au Burkina Faso. La sauvegarde de la souveraineté nationale exige la restauration de la cohésion nationale.
- La révision de la méthode engagée pour le déguerpissement en cours. Les déguerpissements brutaux du quartier de Kaporo-rails et autres à la fin des années 90 ont engendré des traumatismes collectifs sociaux et psychologiques profonds. Une génération de jeunes gens en sont marqués jusqu’à présent pour les amener à nourrir une très forte défiance vis-à-vis de l’Etat. Les révoltes successives de l’axe hamdallaye- Bambeto-Cimenterie y tirent leur source pour l’essentiel. La répétition des déguerpissements de cette nature renforce dans l’opinion nationale le ‘rejet de l’Etat’. Un déguerpissement réussi et accepté est possible sur la base d’une procédure concertée s’articulant comme suit : prévention- dédommagement- recasement- consolidation. Le déficit des infrastructures de base dans les quartiers comme les marchés, les aires de jeux, les routes bien tracées, la vulgarisation des normes de construction pour une urbanisation intelligente, fait de nos villes des espaces urbains désordonnés et sans perspectives de développement. La justice et la solidarité doivent accompagner en toutes circonstances la réussite des projets gouvernementaux ayant un fort impact sur les populations.
Ces cinq points permettront dans un bref délai de créer un climat de détente et d’apaisement dont le pays a besoin. Ces actions devront à notre avis précéder ou accompagner le lancement des travaux du comité permanent du dialogue politique et social.
Les voies d’une sortie de crise durable
La résolution des crises politique et sociale seront alors le chantier du comité permanent. Les points suivants permettant de structurer la concertation sont de plusieurs ordres :
- La restauration de la conformité légale des institutions En effet des dysfonctionnements au niveau des institutions républicaines sont apparus. Ainsi des actions permettant la ré-légitimation et la remise en ordre des lois de la République sont nécessaires afin de restaurer l’autorité et la primauté de la loi. C’est par ce biais que l’autorité de l’Etat pourra être effective.
- La gouvernance électorale, talon d’Achille de la Guinée doit être nécessairement réformée : Le processus électoral global de la Guinée mérite d’être revue pour reconstruire le fichier électoral qui est la source des crises politiques qui affectent dangereusement la stabilité de la Guinée. Occulter cet aspect c’est le risque de créer les facteurs de la déstabilisation en profondeur de notre pays. Ensuite l’organe organisateur et régulateur du processus électoral (CENI) doit être repensée pour être à la fois technique et vertueux par la qualité des hommes et des femmes qui le composent. Il faut dépolitiser la CENI. Un examen critique et rétrospectif d’un quart de siècle d’expérience électorale doit nous permettre d’envisager des changements en profondeur de cette institution qui rythme les flambées de crise politique de ces trois décennies de multipartisme intégral en Guinée. La sortie de crise durable en dépendra
- La gouvernance économique devra être réformée pour accroitre son efficacité en mettant en avant la réalisation des performances pour rattraper notre retard économique. En effet il faut absolument remédier aux rigidités structurelles de l’économie nationale. La politique monétaire en général et la modernisation des moyens de paiement en particulier permettront de faire de la monnaie nationale un facteur de création de richesses. Sans cela il est difficile d’améliorer le niveau de vie de nos compatriotes, de contrer l’évolution inflationniste qui caractérise notre environnement et enfin d’impulser la collecte de l’épargne nationale. De ces actions découleront notre capacité à apporter des solutions à la crise sociale. Le second volet des réformes structurelles est la réorganisation de l’ensemble des chaînes de fonctionnement de la mobilisation des recettes publiques et de la dépense de l’Etat. La modernisation de notre pays passe d’abord par l’efficacité des mesures pour une meilleure gestion des finances publiques pour éliminer la corruption endémique qui gangrène notre société. Le mal
développement de la Guinée est intrinsèquement liée au manque d’efficacité, de probité et de traçabilité des opérations financières de l’Etat guinéen.
- La nécessité d’engager des réformes sérieuses exige le renforcement de la cohésion sociale la recherche de la stabilité et de la paix a pour ultime objectif de créer un climat propice au développement économique et social de la Guinée. Le pouvoir politique gagnerait à aller dans ce sens pour assurer la quiétude et l’harmonie dans notre pays. Le développement est en effet le dividende de la stabilité et de la réconciliation nationale.
- L’effet domino ou les menaces et risques sécuritaires dans la sous-région : Depuis 10 ans le sahel est entré dans de zones de fortes turbulences. Il faut être clair à ce sujet. La propagation de l’hydre terroriste dans notre sous-région a bénéficié d’un terreau fertile dans la région. Le mal-développement qui a été dénoncé en son temps par le célèbre agronome René Dumont est une première explication du basculement dans la violence endémique de populations naguère pacifiques et tolérantes. La Guinée, notre pays n’est pas à l’abri de cet effet domino qui a touché, le Mali, la Mauritanie, le Burkina, le Niger, le Nigeria, le Cameroun, la République Centrafricaine, la Somalie etc. Notre pays enregistre une longue série de crises de toutes natures s’étalant sur plusieurs décennies. Les failles perceptibles au sein de notre société sont des aspects de fragilité qui peuvent être exploitées par des forces asymétriques qui sont intéressées à dominer l’Afrique de l’Ouest. Le renforcement de la cohésion nationale, la restauration de l’autorité de la loi et de l’Etat, et le progrès social et économique sont les viatiques indispensables pour protéger la Guinée de ce tourbillon djihadiste violent.
Conclusion : La Guinée a besoin d’un véritable dialogue politique et social qui ne sera pas assimiler à des positionnements politiciens sans aucun avenir. La résurgence de la fièvre hémorragique Ebola au sud de notre pays qui s’ajoute au COVID19 accroissent la peur et le désespoir. Des milliers de vies perdues et notre économie anéantie entre 2014-2016 du fait de l’épidémie d’Ebola sont de douloureux souvenirs. La multiplicité des menaces et des dangers doit être l’occasion pour l’ensemble des acteurs des forces vives y compris les autorités officielles d’encourager et d’impulser un véritable sursaut national salvateur. A cet effet le Président Alpha Condé a plusieurs cartes entre les mains. Il lui appartient de contribuer efficacement et courageusement à œuvrer pour la concorde et l’apaisement dans notre pays. Un tournant vertueux pour favoriser la paix et le développement est encore possible.