L’heure de vérité a sonné pour jauger la qualité de la gouvernance économique de la Guinée.
La pandémie COVID-19 en plus du désastre humain qu’elle cause, met en lumière le degré de résilience des Etats face à cette secousse sanitaire de très vaste amplitude. En quelques semaines, l’économie mondiale est paralysée. Les frontières se referment et l’humanité pour une rare fois depuis très longtemps s’interroge sur son présent et sur son avenir.
Les économies de tous les pays sans aucune exception sombrent dans la récession. Les chômeurs se comptent par millions du jour au lendemain et la pauvreté s’étend davantage entrainant dans son sillage des franges importantes des classes moyennes. Du risque sanitaire, les risques politiques et sociaux se sont imposés aux dirigeants actuels.
Quant est-il de la Guinée ?
La structure de l’économie nationale révèle d’un coup d’œil ses fragilités. Sa forte dépendance à la rente minière qui concentre 94% des exportations totales du pays et dont 91% sont destinées à la Chine est devenue un lourd handicap. La contraction de la demande mondiale et le ralentissement drastique de l’économie chinoise amènent nécessairement des pertes considérables pour les entreprises minières de bauxite. À cet égard les difficultés s’accumulent sous les cieux. Le déficit commercial chronique des échanges avec l’extérieur n’arrangent nullement la situation économique et financière du pays.
En effet celui-ci dépend totalement de l’étranger même pour les denrées de premières nécessités comme le riz, le sucre, la farine de blé, l’huile et les produits pétroliers. La récession mondiale pourrait ainsi se traduire en Guinée en une crise alimentaire et humanitaire à la fois.
Le plan de riposte contre COVID19 élaboré par le gouvernement guinéen s’articule principalement sur l’opérationnalisation du projet ANIES (Agence Nationale pour l’Inclusion Economique et Sociale) qui existait avant le déclenchement de la pandémie. Ce projet de 439 milliards de GNF est destiné à 800 mille ménages ce qui s’avère en dessous des besoins, au regard de l’indice de pauvreté multidimensionnelle qui touche plus de 60 % de la population selon la Banque Mondiale.
Les autres mesures sont essentiellement des reports du paiement des taxes et impôts en faveur uniquement des entreprises des secteurs de l’hôtellerie et du tourisme. Quid des autres entreprises notamment les PME/PMI. Ces différés de paiement suffisent-ils à des entreprises dont l’activité est réduite à néant et qui doivent faire face à leurs obligations sociales d’employeurs.
C’est la pérennité de l’outil de travail qui est en jeu aujourd’hui et donc, le maintien des emplois devrait être la principale préoccupation. Assurer le plan de continuité des entreprises créatrices de valeur ajoutée est d’ordre stratégique pour sauvegarder le patrimoine économique du pays. Aussi, l’Etat guinéen devrait s’efforcer plus tôt d’apporter une aide substantielle au niveau des règlements des salaires pour maintenir les entreprises en vie.
Les mesures de désendettement intérieur pour plus de 500 milliards GNF sont nécessaires mais ne peuvent être considérées comme éléments pertinents de riposte contre COVID19. En effet cette action s’intègre dans le cadre de la gestion courante des projets et investissements de l’Etat, nonobstant l’impact financier par la distribution d’un pouvoir d’achat à des entrepreneurs qui étaient restés sans être payés par l’État.
En plus, cette opération devrait être encadrée par un audit préalable de la qualité et de l’existence des dettes intérieures. Les mesures à caractère sociale comme la prise en charge par le trésor public des règlements des factures d’eau et d’électricité pour un trimestre en faveur des abonnés au tarif social pour 480 milliards de GNF ont un impact limité car ne concernent qu’une faible proportion des habitants de la région de Conakry.
En définitive le plan de riposte contre COVID19 du gouvernement s’inscrit beaucoup plus dans une logique de règlement de quelques passifs de gestion que dans une réelle volonté de prendre à bras le corps les graves problèmes que font naître COVID19 en Guinée. Dans les prochaines semaines en sus de la pandémie, la pauvreté va s’aggraver et les pénuries alimentaires seront perceptibles dans les centres urbains.
Pouvait-il en être autrement ?
À cet égard, l’examen du mode de financement du plan de riposte est édifiant. Sur une prévision de 3000 milliards de GNF, les 2/3 reposent sur des hypothétiques aides des bailleurs internationaux comme la Banque Mondiale et le FMI.
Les autorités guinéennes ont déchanté pour le moment, car la Guinée ne figure pas dans la première liste des États africains bénéficiaires de l’aide des organisations de Brettons-Woods. Alors que le Sénégal se retrouve avec 446 millions USD, la Côte d’Ivoire avec 890 millions USD et le Ghana avec plus d’un milliard de dollars US, la Guinée quant à elle est encore dans « la salle d’attente ».
En réalité, les autorités guinéennes, depuis des lustres ne se sont pas intéressées aux moyens du redressement économique et financier de leur pays. Les réformes structurelles indispensables pour briser les rigidités de l’économie nationale n’ont pas été entreprises.
La logique prédatrice et néo-patrimoniale s’est contentée de perdurer grâce aux rentes tirées sur les taxes minières et sur les taxes sur les produits pétroliers. Or ces revenus ne sont pas extensibles. D’où le recours à une politique systématique d’endettement au détriment de l’effort de constitution d’une épargne nationale conséquente.
À titre illustratif, en fin janvier 2020 les créances nettes sur l’État sont de 15.084 milliards de GNF et les créances sur le secteur privé sont de seulement 11.844 milliards GNF. Ces chiffres semblent hermétiques pour un public non initié, mais ils reflètent le drame de l’économie guinéenne car traduisant une réalité structurelle des contreparties des agrégats monétaires de la Guinée. Leur traduction est la suivante.
L’État guinéen vit à crédit. Il ne manifeste aucune volonté politique de s’affranchir de cette situation et il se retrouve incapable par lui-même de porter des mesures hardies pour répondre dans la durée à la demande sociale et aussi pour assurer des capacités de résilience pour contrer des chocs inattendus comme la pandémie COVID19. L’effet d’éviction que la gestion de l’État entraine ainsi a pour conséquence la frilosité du secteur bancaire pour assurer sa fonction principale de distributeur de crédits aux entreprises et aux particuliers.
En conséquence la gouvernance économique telle qu’elle est pratiquée est à l’antipode du développement. Ce comportement chronique des dirigeants guinéens est facilité par le laxisme de la gestion de la politique monétaire de la Banque centrale. Celle-ci dépend directement du Chef de l’Exécutif et ne peut pas mener une politique cohérente et rigoureuse pour conforter la solidité de la monnaie nationale.
Les impératifs politiciens l’ont toujours emporté devant la nécessité d’une bonne gestion monétaire. Le Maroc l’a réussi, la Tunisie également mais la Guinée ne l’a jamais tenté.
Les conséquences financières de ce recours systématique à l’endettement génèrent des charges d’intérêts qui sont abyssales. Elles sont évaluées au titre du budget 2020 à 1.154 milliards de GNF dont 849 milliards pour la dette intérieure. A ce rythme l’avenir des générations futures est sacrifié. Dans ce contexte il est évident que la pauvreté va en s’aggravant et COVID-19 va amplifier cette escalade dangereuse pour la société guinéenne.
En guise de conclusion
La situation économique de la Guinée est mauvaise. Le comportement irascible de ses dirigeants ne facilite nullement une attitude empathique de la part des bailleurs bi et multilatéraux. Ces derniers sont exaspérés par l’inefficacité des autorités gouvernementales qui brillent toujours par une très faible capacité d’absorption de l’économie guinéenne.
En d’autres termes, les administrations gouvernementales ne sont pas en mesure de porter des projets correctement ficelés pour utiliser dans le temps requis les crédits qui leurs sont alloués. Cette tare est trainée depuis le début des années 90. Jusqu’à présent les multiples commissions interministérielles n’ont pas réussi à y mettre fin. Il est certain que les défaillances de l’Etat entravent les opérations pour secourir efficacement la population et pour accompagner l’économie nationale. Ces lacunes lourdes de menaces pour les mois à venir auront des conséquences politiques de grande portée.
En effet la Guinée a besoin maintenant d’un changement dans maints domaines afin de ne pas sombrer dans une léthargie destructrice. La nécessité est là. Pour ce faire la mobilisation de toutes les intelligences créatrices et patriotiques est urgente car la survie de nos populations en dépend. Saisissons cette opportunité historique pour assurer la renaissance et la transformation sociale de notre pays ! Le temps du changement est venu ! Mobilisons-nous !
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